(Article) Il était une fois la saga Jacoulot

Publié le par Stéphane Guillard

A Romanèche-Thorins, petite commune du sud de la Saône-et-Loire à la limite du département du Rhône et du Beaujolais, demeurent deux entreprises quasi institutionnelles dans le monde des vins et spiritueux. La première, réputée mondialement, est l'oeuvre de Georges Duboeuf, célèbre négociant en vins. La seconde, moins renommée mais néanmoins plus ancienne, s'illustre depuis des décennies dans le domaine des spiritueux. Cette entreprise familiale détient le nom de son fondateur, Jacoulot. Tentons d'explorer un pan de l'histoire de cet établissement connu des amateurs de liqueurs et d'eaux-de-vie.

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Les origines

 

En 1891, dans la commune de Romanèche-Thorins, un jeune habitant originaire de la commune se passionne pour les eaux-de-vie et commence à distiller des marcs de Bourgogne avec les raisins de certains de ses amis vignerons. Cet homme âgé de seulement 27 ans s'appelle Vincent Jacoulot. Sans le savoir, il vient de créer un établissement qui, non seulement va perdurer, mais qui deviendra reconnu par tous.

Vincent Jacoulot naît dans une famille modeste le 30 novembre 1864 à Romanèche-Thorins. Son père Claude et sa mère Marie-Jeanne Brun sont alors aubergistes au bourg de la commune. Originaire de la commune de Vinzelles, Claude Jacoulot est le fils d'un certain Benoît, de son vivant propriétaire-tisserand. Dans les registres d'actes civils de la commune de Vinzelles, la famille est désignée tour à tour "Jacoullot", "Jacouillot" ou "Jaquoullot".

En 1827, dans l'acte de naissance d'un oncle de Vincent, l'officier qui rédige le registre indique clairement "Jaccouillot", tandis que Benoît, le grand-père signe "Jacoullaut". Quatre ans plus tard, Benoît signe cette fois-ci "Jacoulot" alors Jeanne-Marie Brun, la mère, a une signature hésitante, preuves d'une alphabétisation imparfaite. En 1835, l'officier rédacteur de l'acte de naissance de Marie-Louise Jacoulot inscrit tour à tour "Jacoulot" et "Jaccouillot, nouveau signe d'une confusion, d'autant plus que cette fois-ci le père a signé "Jaccouillot". Deux ans plus tard, lors de la naissance du père de Vincent Jacoulot, la famille est désigné uniquement "Jacoullot". Petit à petit, le second " l " disparaîtra.

A dire vrai, le grand-père de Vincent Jacoulot est un petit commerçant rural du XIXème siècle français. En plus de ses activités de tisserand, les listes de recensements communales de Vinzelles le désignent également comme "cabaretier" ou "aubergiste" dans le bourg du village. L'artisanat textile à domicile dans les mondes ruraux français du XIXème siècle étant bien souvent une activité de complément, la famille Jacoulot s'occupe également d'un établissement où la société villageoise de toutes origines se retrouvent. On y boit de l'alcool, on y mange, on se divertit et on discute. Occasionnellement, ces auberges louent quelques chambres pour les voyageurs ou autres. Le grand-père de Vincent Jacoulot appartient donc aux commerçants-artisans ruraux, condition quelque peu supérieure à celle des cultivateurs et travailleurs du sol.

Entre 1856 et 1861, Claude, le père de Vincent Jacoulot, quitte Vinzelles pour s'installer dans le bourg de Romanèche. Il y exerce la même activité que son père à Vinzelles. Avec sa femme Marie-Jeanne Brun, originaire de Chaintré, ils demeurent jusqu'en 1876 aubergistes, maîtres d'hôtel ou débitants selon les désignations du recensement.

Le jeune Vincent grandit donc dans un environnement typique du monde rural du Beaujolais et du sud du Mâconnais de la seconde moitié du XIXème siècle. La polyculture agricole et la viticulture, si elles occupent une part importante de la vie des hommes, se mélangent également avec l'artisanat familial et le petit commerce.

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La naissance des vocations

 

Très jeune, on imagine Vincent déambuler dans l'échoppe de ses parents, côtoyant tonneaux, bouteilles de vins et alcools en tous genres. Sans rien exagérer, il est indéniable qu'à son adolescence Vincent Jacoulot devient une main-d'oeuvre de premier choix pour l'auberge familiale. Il y décharge ses premiers tonneaux de vins, sert quelques verres de spiritueux et côtoient donc très tôt le monde viticole local.

Au recensement de la commune de Romanèche-Thorins de 1876, et alors que le phylloxéra a commencé ses ravages destructeurs en Beaujolais, le père de Vincent Jacoulot est devenu tonnelier. La famille vit toujours dans le bourg de Romanèche-Thorins et Vincent va pouvoir pénétrer encore un peu plus l'univers de la viticulture beaujolaise. Le métier de tonnelier consacre une certaine forme de promotion sociale pour Claude Jacoulot puisqu'elle est le symbole de la prospérité des vignobles beaujolais.

En 1881, Vincent Jacoulot est absent du recensement de la commune de Romanèche. Les archives militaires nous apprennent qu'au moment de sa conscription, en 1884, le jeune Vincent vit à Charenton-le-Pont, commune du département de la Seine, aujourd'hui dans le Val-de-Marne. Point d'entrée privilégiée au sud-est de Paris, la ville de Charenton-le-Pont est située à proximité immédiate de Bercy. Les entrepôts de Bercy demeurent alors un ensemble réservé aux négociants en vin pour la réception, le stockage et la redistribution des vins et spiritueux, en direction de la capitale notamment. Entre 1881 au plus tôt et 1886 au plus tard, Vincent Jacoulot vit à Charenton-le-Pont où il y exerce la profession de tonnelier. Le jeune homme pénètre alors un peu le monde de la viticulture et du négoce.

Dix ans plus tard, en 1891, Vincent habite encore le domicile familial et est devenu employé de commerce, certainement au service de l'entreprise familiale. Son père demeure toujours tonnelier, tandis que sa mère occupe un emploi de cafetière, probablement l'ancien commerce familial. Aîné d'une phratrie de trois enfants, Vincent a vu un de ses frères, Jean, mourir à l'âge de 7 mois en 1868. Claude, de deux ans son cadet, et Marie-Claudine sa soeur née en 1875 complètent la famille.

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L'homme

 

Les archives militaires nous apprennent également que Vincent Jacoulot n'est pas un homme très grand, cependant dans une certaine moyenne pour l'époque, puisqu'il mesure 1,65 mètres. Ses cheveux, ses sourciles et ses yeux sont châtains tandis que son front ordinaire, sa bouche et son nez moyens, son menton rond et son visage ovale finissent le portrait d'un individu sans caractéristiques physiques particulières.

Relativement instruit puisqu'il signe tous les registres administratifs de la même manière, Vincent Jacoulot possède le degré d'instruction le plus haut pour l'administration militaire. N'intégrant l'armée qu'une année après la date prévue, le soldat Jacoulot semble être d'une nature discrète sous les drapeaux. Incorporé eu 1er régiment d'artillerie, originaire de Belfort, Vincent Jacoulot fait partie de ce corps qui partit notamment à la conquête du Tonkin entre 1884 et 1888. Vincent Jacoulot est deuxième canonnier servant le 25 novembre 1886... Ni décoré, ni devenu gradé, il n'est pas tenu de justifier d'un certificat de bonne conduite, signe d'un passage à l'armée sans encombre. Il est finalement envoyé en disponibilité le 21 avril 1887 en attendant son passage dans la réservé de l'armée active qui arrive le 1er novembre 1889. Après deux périodes d'exercices d'un mois dans le 1er régiment d'artillerie en 1891 et 1895, il passe dans l'armée territoriale le 1er novembre 1898. En 1901, il effectue deux semaines d'exercices dans le 1er régiment d'artillerie avant de passer dans la réserve de l'armée territoriale en 1904. En 1910, il est libéré du service militaire.

De l'avis de nombreux observateurs, Vincent Jacoulot est un homme entreprenant, déterminé et volontaire. Son sens des affaires se développe en même temps que ses expériences dans le monde de la tonnellerie et du commerce familial. Il entrevoit très vite les possibilités de créer un nouveau marché et de nouveaux produits consommation. La fréquentation des entrepôts de Bercy, ainsi que l'observation de la montée en flèche de la consommation d'alcool dans les aires urbaines, et notamment celle de Paris, le conduisent à forger son envie de développer une nouvelle boisson.

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La création de l'entreprise

 

L'année 1891 reste pour Vincent Jacoulot et sa famille une année charnière. Le 18 juillet, il épouse à Romanèche Marie-Marguerite Condeminal, la fille d'un tonnelier Romanéchois. Pour effectuer cet acte important de sa vie, il est libéré du service militaire où il effectuait une période d'exercice. Alors voyageur de commerce, Vincent Jacoulot semble donc avoir déjà débuté ses activités commerciales, ou du moins il est en passe de le faire et profite d'une expérience commerciale pour apprendre. En octobre, son frère Claudius se marie lui aussi à Romanèche.

De ces deux actes de mariage, il ressort une personne certainement très importante pour la carrière de Vincent Jacoulot et le développement futur de son entreprise. Cet homme, témoin aux deux mariages, n'est autre que l'oncle de Vincent Jacoulot, un certain Vincent-Benoît Jacoulot. L'homme est né à Vinzelles en 1831 sous le prénom d'Etienne. En pleine crise du phylloxéra dans le Beaujolais, il décide de partir s'installer à Lyon, entre 1876 et 1881. Près de Vaise, il installe son entreprise de négoce de vins et vit avec sa femme et son père Benoît Jacoulot au 11 rue Saint-Cyr, dans l'actuel 9ème arrondissement de Lyon.

En 1886, l'oncle de Vincent Jacoulot est désigné "liquoriste" dans les listes nominatives de recensement de la rue Saint-Cyr à Lyon. Faut-il y voir le début d'une inspiration pour le jeune Romanéchois alors de retour dans sa commune natale ? S'il est difficile de répondre catégoriquement à cette question, on imagine tout de même que cette relation familiale permet à Vincent Jacoulot, d'une manière ou d'une autre, de se lancer dans la fabrication d'eaux-de-vie de marc.

Dès le recensement de 1896 de la commune de Romanèche, Vincent Jacoulot vit dans son propre foyer au bourg avec sa femme, son fils Marcel âgé d'un an, d'une domestique et d'un jeune homme de 17 ans qui aide certainement Vincent, devenu négociant en vin et liqueur. En 1901, la famille a déménagé aux "Garniers", un hameau à proximité de la gare de Romanèche, ce qui facilite le transport des produits et améliore les affaires. Vincent Jacoulot héberge alors Claude Laissu, 19 ans, son "employé distillateur". Cinq ans plus tard, le foyer est recensé aux "Jacques", toujours à proximité immédiate de la gare de Romanèche. Les affaires semblent continuer à se développer puisque la famille Jacoulot héberge deux "employés ouvriers liquoristes". Si l'entreprise familiale demeure encore à un stade assez artisanal, force est de constater qu'avec le temps l'essor commercial est indéniable. En 1906, on a par exemple désormais les moyens d'employer au moins deux personnes pour distiller avec Vincent.

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La carrière politique

 

Les succès industriels et la renommée de Vincent Jacoulot font de lui un homme important de la commune de Romanèche-Thorins et des alentours dès la fin du XIXème siècle, et encore plus au début du siècle suivant. Après la Première Guerre mondiale, se concrétise une idée certainement en germes depuis plus longtemps dans son esprit : embrasser une carrière politique. En 1919, Vincent Jacoulot devient conseiller général du canton de La Chapelle-de-Guinchay, dans le département de la Saône-et-Loire. Six ans plus tard, une nouvelle étape est franchie puisque M. Jacoulot est élu maire de la commune de Romanèche-Thorins. Si la puissance et la renommée de l'industriel n'étaient plus à faire, force est de constater que les réussites économiques de Vincent Jacoulot se traduisent également par une sympathie toute particulière de la part de ses concitoyens.

Durant l'entre-deux-guerres, Vincent Jacoulot décide de s'attaquer à un mandat national en se présentant aux élections législatives de 1928. Sous les couleurs des radicaux unionistes, ces anciens membres du Parti radical-socialiste attachés à l'union nationale derrière Raymond Poincaré et opposés à un nouveau "Cartel des gauches", Vincent Jacoulot devient député à l'Assemblée Nationale au sein du groupe parlementaire de la gauche sociale et radicale. Naturellement, il devient membre de la Commission des boissons et de la Commission de l'Agriculture. Particulièrement actif sur les questions relatives à la viticulture, Vincent Jacoulot ne peut terminer son mandat de député.

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Vincent Jacoulot et sa succession : une affaire de famille

 

Le fondateur de la maison Jacoulot décède le 30 avril 1931 dans sa commune natale de Romanèche-Thorins. Si rien ne prédestinait cet homme à une telle carrière professionnelle et politique, Vincent Jacoulot a réussi à construire une entreprise pérenne et renommée, dès les premières années de son existence.

Rapidement, Vincent Jacoulot a pressenti l'importance de construire autour de lui un solide réseau de connaissances, d'amitiés et de partenaires. Plus que ces accointances extérieures, c'est au sein même de son foyer que Vincent Jacoulot bâtit les fondations de l'entreprise. En 1911, alors que le foyer s'est installé dans le hameau des Jacques, où se trouve toujours l'entreprise, la patriarche emploie son fils aîné Fernand, 19 ans seulement, comme distillateur. Epaulé d'un jeune Bellevillois de 20 ans, Pétrus Duquet, commis distillateur, la maison Jacoulot se développe d'emblée autour de la famille.

Le premier conflit mondial éclate et décime particulièrement la famille Jacoulot puisque les deux fils aînés n'en réchappent pas. Fernand-Claude, incorporé fin 1913 au 134ème régiment d'infanterie, part au front le 2 août 1914. Le lendemain, la guerre avec l'Allemagne est déclarée. Stationné à proximité de la frontière, le régiment du fils Jacoulot participe à la bataille de la trouée de Charmes. L'objectif de l'offensive est la prise de la commune de Rozelieures en Meurthe-et-Moselle. Dès le second jour de la bataille, Fernand-Claude Jacoulot est "tué par l'ennemi" à l'âge de 22 ans seulement.

Son fère cadet Marcel-Victor n'a guère plus de chance. Distillateur comme son frère, au moment de son incorporation, le deuxième fils de Vincent Jacoulot change plusieurs fois de régiment et de bataillon. Devenu sergent en novembre 1915, il est victime d'une tuberculose pulmonaire, lui causant une "perte des forces et de l'appétit et une lésion aux deux poumons". Proposé pour la réforme avec gratification, la commission de réforme de Bordeaux t'esime en faible point en août 1916 mais ce n'est que le 9 mai 1917 qu'il est autorisé à rentrer à Romanèche auprès de sa famille. Le 12 juillet suivant il décède de sa maladie.

Les deux fils aînés de Vincent Jacoulot qui travaillaient comme distillateurs avec lui décèdent donc des suites de la Première Guerre mondiale. L'entreprise familiale de fabrication et de vente de liqueurs s'en trouve atteinte. Après la guerre on ne trouve plus traces d'employés chez Jacoulot vivant à Romanèche-Thorins. Au recensement de 1921, Roger, le cadet de la famille, n'a que 19 ans quand il devient liquoriste pour l'entreprise de son géniteur. Demeuré au sein du domicile familial, Roger poursuit sa carrière de distillateur avant de devenir le successeur naturel de son père en 1931. Cette même année, Vincent Jacoulot, sa femme et leur fille Camille-Blanche-Maria, ainsi que Roger, marié quelques mois plus tôt, ont installé leurs foyers à "La Gare" de Romanèche. Le dernier fils survivant de Vincent Jacoulot devient l'héritier de l'entreprise familial au décès de ce dernier. La continuité est assurée et la maison Jacoulot peut perdurer sans souffrir d'une perte d'identité.

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A
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S
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